Le thème de la révision de la Constitution occupe l'actualité, à la suite du projet annoncé par le Président de la République; il s'invite, depuis quelques mois, dans bien des conversations, à tous les niveaux; il suscite des conférences ici et là; il provoque des réactions tant de la part des partis politiques que de la société civile. Mais, à la vérité, le thème de la révision de la Constitution se détache des propos tenus par le Président de la République. Ces propos n'évoquent nullement la révision de la Constitution. Au contraire, le Chef de l'Etat veut voir la Côte d'Ivoire dotée d'une nouvelle Constitution, en remplacement de la Constitution du 1er août 2000, jugée exclusionniste et, partant, confligène. Le Chef de l'Etat s'est exprimé en ce sens, à plusieurs reprises, quelques jours avant la tenue de l'élection présidentielle, et après le scrutin qu'il a remporté. Toutefois, des propos tenus par des collaborateurs du Chef de l'Etat donnent d'entendre que le projet portera sur la révision de la Constitution. On comprend, dès lors, que des leaders de partis politiques, tant de la coalition au pouvoir que de l'opposition, prennent position, depuis lors, relativement à la révision de la Constitution. On comprend, également, que dans un tel environnement, votre attention ait été retenue par la thématique de la révision de la Constitution, dont vous voudriez connaître les mécanismes, c'est-à-dire les réponses aux questions se rapportant au comment ou, en d'autres termes, à la procédure de révision constitutionnelle; à ces questions, qui ne manquent pas d'intérêt, l'on devrait, pour avoir une vue plus large, joindre les préoccupations liées au pourquoi dela révision constitutionnelle, car ces préoccupations sont à la racine de la révision constitutionnelle et commandent celle-ci.
1- POURQUOI REVISE-T-ON LA CONSTITUTION?
Les motifs ou les raisons qui soutiennent la révision de la Constitution sont divers; ils varient en fonction des milieux étatiques. Mais, par-delà la diversité, il y a des éléments communs qui résident dans la nature et la fonction de la Constitution.
La Constitution, en effet, est l'acte fondateur de l'Etat. En tant que telle, elle n'est qu'un moyen que se donnent les hommes pour résoudre les problèmes juridiques et politiques qui se posent à eux à un moment donné de leur histoire. Œuvre humaine, la Constitution porte nécessairement la marque de la finitude; la Constitution peut, avec l'évolution, ou à l'application, révéler ses limites, ses insuffisances, ses faiblesses ou même sa nocivité en certaines de ses dispositions. Une telle situation donne de constater un décalage entre la Constitution et les aspirations nouvelles de la société que la Constitution entend ou prétend régir.
Bref, dans cette hypothèse, la Constitution ne répond plus en tous points aux attentes de la société. Dans ces conditions, la Constitution doit pouvoir être modifiée ou révisée. Car, la Constitution, œuvre humaine, ne saurait bénéficier d'un statut de sacralité et d'immutabilité absolue. Sa révision, qui apparaît, alors, nécessaire, est la condition de sa survie. A défaut, la vie politique et juridique se déroule en dehors de la Constitution ou dans la négation de la Constitution. Pis, la Constitution s'expose à disparaître. C'est pourquoi la possibilité de réviser la Constitution a été perçue et consacrée par les rédacteurs de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000.
Il suit de ce qui précède que l'on peut réviser la Constitution ivoirienne; mais, la révision doit répondre à un besoin social, à un besoin de la collectivité nationale; la révision doit tendre à régler les problèmes authentiques, ressentis comme tels par la collectivité. Ainsi, la révision pourrait porter, à titre d'exemple, sur l'article 35 de la Constitution qui a été désigné par les forces politiques et militaires ayant pris part à la Table ronde de Linas-Marcoussis comme la cause principale de la crise ivoirienne. Je rappelle que relativement à cet article, une nouvelle écriture a été consignée dans les recommandations jointes à l'accord de Linas-Marcoussis.
La possibilité de réviser la Constitution étant admise, la question se pose maintenant de savoir comment y parvenir.
11- COMMENT REVISE- T -ON LA CONSTITUTION?
La question est celle de la procédure conduisant à la révision. Cette procédure, prévue par la Constitution elle-même, comporte trois phases: l'initiative, la prise en compte de l'initiative et la décision ou l'adoption.
L'initiative, définie comme « l'acte par lequel on propose l'adoption d'un texte, par exemple, projet ou proposition de loi », ne peut être prise par tous ; la Constitution, en son article 124, désigne, a cet effet, seulement le Président de la République et les membres de l'Assemblée nationale, agissant, non pas conjointement, mais concurremment. Ce qui veut dire que chacun des organes désignés a qualité pour agir et qu'il n'est point requis que ces organes agissent ensemble. Lorsque l'initiative émane du Président de la République, elle donne lieu à un projet de loi constitutionnelle; en revanche, lorsqu'elle procède d'un membre de l'Assemblée nationale, l'initiative produit une proposition de loi constitutionnelle.
Etant l'œuvre de pouvoirs constitués, c'est-à-dire prévus et organisés par la Constitution, loi suprême, l'initiative est soumise à des limites qui tiennent, d'une part, au moment, d'autre part, à l'objet.
Relativement au moment, l'article 127, alinéa 1er, de la Constitution, dispose qu'« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ». Cette interdiction, que l'on retrouve ailleurs, a dû être décidée afin d'éviter que la loi fondamentale soit révisée sous la contrainte.
Quant à l'objet, l'alinéa 2 de l'article 127 dispose que «la forme républicaine et la laïcité de l'Etat ne peuvent faire l'objet d'une révision ».
L'initiative, prise conformément aux prescriptions constitutionnelles, doit subir une épreuve qui est celle de la prise en considération: celle-ci est une phase qu'on ne retrouve pas dans toutes les Constitutions. Seules quelques Constitutions l'ont prévue. Il en va ainsi de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000. Le but qui s'attache à l'exigence de la prise en considération de l'initiative, c'est de filtrer les initiatives pour n'en retenir que celles qui sont sérieuses, dignes d'intérêt, à l'exclusion des initiatives intempestives, fantaisistes, inopportunes ou inconsidérées. C'est pourquoi, la prise en considération de l'initiative se présente comme une condition de recevabilité du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle; elle se donne comme une précaution ayant pour fin la protection de la Constitution, loi fondamentale, qui ne doit pas être banalisée.
Aux termes de l'article 125 de la Constitution, la prise en considération relève de la compétence de l'Assemblée nationale, qui décide « à la majorité des 2/3 de ses membres effectivement en fonction ». Ce faisant, l'Assemblée nationale apprécie tant l'opportunité que la régularité de l'initiative.
Il doit être signalé que la prise en considération n'est pas l'adoption du texte. C'est pourquoi l'étape de la prise en considération franchie, vient le moment qui clôt la procédure, et qui est celui de la décision.
La question est réglée par l'article 126 de la Constitution. Tenant compte de la nature et du caractère de la Constitution autant que de son origine populaire, les rédacteurs du texte constitutionnel confient au peuple souverain le dernier mot, c'est-à-dire le pouvoir de prendre la décision portant révision de la Constitution. Le principe en est posé de façon claire par l'alinéa 1er de l'article 126 de la Constitution, dans les termes que voici: « La révision de la Constitution n'est définitive qu'après avoir été approuvée par référendum à la majorité absolue des suffrages exprimés».
Mais, sitôt le principe posé, la Constitution lui apporte un assouplissement conduisant à distinguer entre les projets ou propositions de révision devant être «obligatoirement soumis au référendum », et ceux pouvant être soumis à l'Assemblée nationale sur décision du Président de la République.
La décision, prise par la voie référendaire ou par la voie parlementaire, le Président de la République doit promulguer le texte et veiller à sa publication au journal officiel afin qu'il puisse déployer ses effets.
Voilà ce qui résulte de la lettre de la Constitution. Il faut nécessairement y joindre ce que suggère l'esprit de la Constitution, pour espérer obtenir que la révision de la Constitution soit un moment qui contribue à la réconciliation· nationale. A cet effet, la procédure de révision devrait être inclusive, au sens où elle devrait enregistrer la participation de toutes les composantes du corps socio-politique: les partis politiques, la société civile, le patronat, les syndicats, la chefferie traditionnelle, les confessions religieuses, les représentants du pouvoir. Il doit en aller ainsi, car la Constitution étant le contrat social par excellence, sa modification doit être l'affaire de tous et non celle de quelques-uns. C'est la condition pour que les nouvelles dispositions constitutionnelles soient acceptées par l'ensemble de la société et qu'elles contribuent à recoudre le tissu social que l'on sait déchiré. |